Les transferts de Dennis Oppenheim (2)

C'est en 1969 que Dennis Oppenheim entreprend sa série des "transplantations de galeries". Celles-ci suivent toujours le même processus de prélèvement, transfert et projection de données d'une surface à une autre. L'espace intérieur, architectural et culturel du musée est mis en relation avec l'espace ouvert, non-aménagé d'un site extérieur.

Dans le transfert ci-contre, le plan de la galerie a été tracé par de la terre retournée sur une surface enneigée. L'intervention est photographiée, puis présentée accompagnée d'un plan officiel de la galerie et d'une carte topographique.

Sur l'oeuvre finale, il ne reste donc rien de la masse architecturale du musée. Photographies, plans et cartes agissent comme des interfaces, qui transforment la matière en pure information.

C'est durant cette période que Robert Smithson, qui écrivait beaucoup sur l'art de son époque, accordera le terme de dis-location en parlant du processus de transfert de Dennis Oppenheim : "Je pense que ce que fait Dennis, c'est prendre un site dans une partie du monde et en transférer les données à un autre site ; c'est ce que j'appellerais une dis-location. Il s'agit là d'une activité très spécifique relative au transfert d'information, et non d'un geste d'une éloquence facile. En un sens, d'un site terrestre il fait un plan."(1)

À la différence de plusieurs autres oeuvres du Land Art, les transferts ou "dislocations" de Dennis Oppenheim n'impliquent pas le transport de matériaux d'un endroit à l'autre. L'attention est essentiellement tournée vers la question du lieu (entendu comme un positionnement en termes géographiques), et laisse de côté toute intention d'aménagement architectural. Comme le mentionne Jean-Louis Bourgeois dans un article de 1969, (2) la présence de Dennis Oppenheim dans le paysage est en quelque sorte abstraite. Ses projets s'opposent à l'architecture paysagère en ce sens qu'il n'intervient pas de "construction" à partir des éléments naturels. Il ne s'agit pas pour lui de travailler avec la masse, d'élever des formes sculpturales dans le paysage mais de manier seulement les systèmes d'information qui sous-tendent ces masses, gouvernent et réglementent leur logique. Par l'utilisation de plans, de cartes et de photographies, qui témoignent du voyage de l'information à partir du site réel de la galerie jusqu'au nouveau lieu d'"implantation", Dennis Oppenheim introduit à son époque une vision inédite de la dématérialisation de l'oeuvre d'art et de la réalité virtuelle dans le contexte artistique.


Dennis Oppenheim, Gallery Transplant, 1969.
Galerie 4 du Stedelijk Museum, Amsterdam
transposée à Kearny, New Jersey.
Document : photographie noir et blanc,
plan du sol, carte topographique, 15,2 x 101,6 cm.
(1)Lisa Bear et Willoughby Sharp, "Discussions with Heizer, Oppenheim, Smithson (1970)", In : Robert Smithson : The Collected Writings, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 1996, p. 244.

(2)Jean-Louis Bourgeois, "Dennis Oppenheim, A Presence in the Countryside", Artforum, octobre 1969, pp. 34-38.

Les territoires inoccupés. http://territoiresinoccupes.free.fr
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