L'obsession de la
mesure et de l'échelle(2) |
À
la suite des minimalistes,
beaucoup d'artistes cherchent à penser l'espace non pas comme
réceptacle où une oeuvre puisse être installée,
mais comme terrain d'expérimentation et de relations possibles.
Cet angle d'approche introduit une pratique de la sculpture en tant
que "lieu" (plutôt qu'"objet"), par laquelle les cartes géographiques,
les marquages et les signes d'orientation deviennent des matériaux
de première importance. |
Avec
sa série des Site Sculptures, Douglas Huebler expérimente
dans cette voie la notion de sculpture en tant que lieu. Celle-ci
se construit à partir d'une intervention dans l'espace, qui est
documentée par des cartes géographiques, des photographies
et des indications précises. |
|
Pour Site Sculpture
Project New York Variable Piece #1 1968, il s'amuse à brouiller
l'orientation à l'intérieur d'un cadre géographique
donné, en installant des repères qui voyagent dans la ville.
Posés à des échelles différentes dans une région
de Manhattan, les repères sont tantôt transportés au
hasard dans des directions horizontales (par des automobiles et des
camions), tantôt stables et permanents, tantôt transportés
au hasard dans des directions verticales, par des ascenseurs. |
Pour
expliquer ses motivations, Douglas Huebler écrit en 1968
: "Pour moi, tout cela est une ironie, le fait que l'expérience
que nous avons de la nature est soustendue par de multiples conventions.(4)".
Ironie, car pour percevoir la "nature", nous avons recours à
tout un langage de signes qui nous permettent seulement de croire
que les choses représentées correspondent à une réalité
physique. Mais la nature, figée dans sa représentation,
n'est déjà plus elle-même. Tout ce que nous pouvons
prétendre connaître de la nature, à travers sa représentation,
n'est en fait rien de plus que le réseau de conventions qui la
gouvernent. |
Plus
photographe que Douglas Huebler, Richard Long expérimente
aussi la notion de sculpture en tant que lieu. Parce que le monde
est déjà trop rempli d'objets pour continuer à le combler
par toutes sortes d'artifices, il choisit de statuer sur l'existence
des choses en terme de temps et d'espace. La sculpture naît chez
Richard Long d'une relation intime entre le corps et l'espace qu'il
traverse. Des tracés cartographiques se créent par la mesure
des pas, au rythme de la marche et du temps du voyage, qui sont ensuite
organisés plastiquement par le biais de photographies, de cartes
et de signes typographiques (indiquant la durée, la distance,
la longueur et la localisation).
Bien que certaines aient été faites au hasard, la plupart
des marches de Richard Long sont prédéterminées
par différents types de mesure. Aux parcours nomades se mêlent,
intrinsèquement, l'administration finement calculée des
moindres étapes du processus d'orientation. |
En octobre
1969, il effectue 4 marches dans la région du Wiltshire en Angleterre
qui donne lieu à l'une de ses "sculptures". Celle-ci consiste
en une carte de l'endroit, sur laquelle sont dessinés 4 carrés
de tailles homothétiquement plus grandes les unes que les autres,
et qui correspondent respectivement à la forme ainsi qu'à
la durée de chaque marche : le plus petit carré représentant
une marche de 1 heure 55 minutes, et le plus grand une marche de 11
heures 20 minutes. |
|
Chez
Dennis Oppenheim aussi, l'opération consistant à
effectuer des transferts de données entre l'espace réel
et sa représentation cartographique tient une place très
importante. Avec la série des Gallery
Transplant notamment, où les mesures topographiques d'espaces
muséaux font l'objet de permutations infinies. |
(4)
Lucy R. Lippard, op. cit.,p. 61. |
|
|
|
|