Les
transferts de Dennis Oppenheim |
"L'art, c'est le voyage" Dennis
Oppenheim
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Pour
Dennis Oppenheim, la surface terrestre est un lieu d'inscription,
sur lequel se déploie un système complexe de signes et de
conventions qu'il s'agit de déchiffrer. Dans sa première
période, que l'on peut situer entre 1967 et 1969, il entreprend
toute une série d'interventions impliquant le transfert de données
d'une surface à une autre.
Sa préoccupation est de créer un
rapport dynamique entre le site et les conventions qui le fondent.
Pour cela, il travaille en termes de marquage et d'inscription.
Il travestit les données objectives, imprimant sur le sol les
données topographiques d'un autre environnement.
Dans Contour Lines Scribed in Swamp Grass (New Heaven Project),
1968, les lignes de contour d'une montagne sont prélevées,
agrandies et projetées sur un terrain marécageux avoisinant.
Des copeaux d'aluminium fixent sur l'herbe du marécage les
cercles concentriques ainsi projetés. |
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Le
fait de transposer les contours de la montagne sur la surface plate
du marécage évoque un certain anéantissement de la
masse montagneuse, symbole romantique par excellence, qui est réduite
à un étalement au raz du sol. En transformant les lignes
d'altitude en latitudes, Dennis Oppenheim opère un renversement
topographique qui n'a plus aucun sens objectif ni scientifique. L'artiste
explique : "Les lignes d'altitude des cartes topographiques servent
à traduire les mesures de la topographie existante sur une surface
bidimensionnelle. Je crée les délinéations qui s'opposent
à la réalité du terrain existant, et j'impose leur
mesure à ce terrain, créant ainsi une sorte de structure
montagneuse sur le plan d'un marécage."(1)
Concernant cette méthode de Dennis Oppenheim, Alain Parent remarque
que la matérialité du support n'a ici qu'une importance
secondaire. Ce qui est fondamental par contre, c'est le passage constant
de principes d'une surface à une autre : "L'opération effectuée
consiste simultanément en un dépouillement des qualités
naturelles et spécifiques d'éléments choisis, et en
un transfert de cette spécificité sur les éléments
dépouillés, soit en un échange de spécificités
instaurant une indifférence, ou une différence de nature
entre tous les éléments manipulés."(2)
Une caractéristique du travail de Dennis Oppenheim à l'époque
est le fait qu'il trace des oeuvres au sol mais ne construit pas.
Les interventions sont pensées pour être éphémères,
elles ne sont là que de passage et disparaissent assez vite sous
l'effet du vent ou de l'eau. En ce sens elles suggèrent le voyage,
car l'oeuvre n'est pas sédentarisée dans son lieu d'inscription.
Traversant le site d'une manière qu'on peut qualifier de nomade,
l'oeuvre persiste et existe surtout à travers les photographies
et les documents décrivant les différentes étapes du
"transfert".
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(1)
Cité In : Gilles A. Tiberghien, Land Art, Paris,
Carré, 1995, p.186. (2)
Alain Parent, "Introduction 1 : Passages", Dennis Oppenheim, rétrospective
de l'oeuvre 1967-1977, Montréal, musée d'Art contemporain,
1978, p.14. |
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